Hervé le Gall est photographe. Photographe de concert, et pas qu’un peu. Il suffit de parcourir son site Cinquième Nuit pour voir à quel point le personnage est investi. Cet investissement personnel, Hervé le vit également avec son matériel photo, canoniste de naissance (ou presque) qu’il est. Pourtant Hervé le Gall vient de basculer de l’autre côté de la force, et il utilise désormais, après 35 ans de vie commune avec ses Canon, un Nikon D3s. Pourquoi une telle rupture ? Hervé se propose de nous l’expliquer et l’homme est tellement généreux qu’il ne faut pas moins de deux articles pour tout publier. Vous l’avez compris, la suite au prochain épisode !
par Hervé le Gall pour Nikon Passion
Cent jours avec le Nikon D3s – 1ère partie
« Alors ? Ça se passe bien avec Nikon ? Tu l’as depuis combien de temps ton D3s ? ». L’œil est un brin goguenard, mais après tout c’est de bonne guerre, surtout quand la question émane d’un utilisateur Nikon depuis des lustres.
J’ai un boîtier Nikon D3s en mains depuis cent jours et j’ai l’impression de l’utiliser depuis toujours. Depuis toujours ? Faut voir. Parce qu’en fait, venant de l’épicerie d’en face (comprendre Canon) chez qui j’étais équipé depuis 1975, je ne connaissais jusqu’à maintenant que bien peu de choses de la marque jaune. D’ailleurs, je redoutais le moment où j’allais changer de crèmerie, même si je savais que mon chemin avec Canon avait atteint son point limite zéro. Mais changer de marque, après tant d’années, ne présentait pas que des avantages. Je craignais en particulier des difficultés d’adaptation en matière d’ergonomie, de prise en main mais finalement, rien de tout ça. Les qualités ergonomiques de Nikon étaient passées par là.
En décembre, alors que je testais le Nikon D3s sur un concert de Matthieu Chédid, j’avais, je dois l’avouer, été singulièrement bluffé par l’aisance et la facilité de prise de vue, même si ma main gauche avait encore quelques notables difficultés pour trouver du premier coup le bouton de loupe des images. À part quelques points de détail mineurs, j’ai vécu avec le D3s une période que je peux qualifier d’état de grâce. Un laps de temps suffisant pour me convaincre que j’avais misé sur le bon bourrin et qu’on allait faire un bout de chemin ensemble. Parce que, finalement, au delà des considérations matérielles, ce qui prévaut pour un photographe, c’est le résultat.
En ayant été équipé en rouge pendant si longtemps, en ayant moi-même revendiqué cette Canon touch si spécifique, ce velouté de couleurs et disons-le la qualité hors-normes des optiques Canon, j’appréhendais de visualiser mes premiers clichés. Il n’en fut rien. Si l’on met de côté l’aspect colorimétrique où les différences sont nettement palpables (entre Canon et Nikon, je persiste et signe, il y a de réelles et notables différences de couleurs) ce qui demeure, au bout du compte, Dieu merci ! C’est l’œil. Mon regard n’a pas changé parce qu’il passe à travers un viseur de D3s. En revanche, tout ce qui contribue au confort de la prise de vue et par voie de conséquence au plaisir de shooter, est à créditer au compte de Nikon, tant au niveau du boîtier qu’à celui des optiques que j’utilise.
Nikon D3s. Le plaisir retrouvé
J’en ai chié. Voilà, c’est dit. Je sais bien que ce n’est pas facile à entendre, encore moins à écrire, surtout après tant d’années passées à produire des images avec du matériel Canon.
Depuis l’épisode 5D Mark II, j’ai réalisé que certains travers de Canon ne me permettaient plus de travailler sereinement dans ma spécialité, la photographie de concerts. Pendant deux ans, je le confesse, j’ai plus été préoccupé par les atermoiements techniques d’un matériel que je ne comprenais plus, avec lequel je n’étais plus en phase. Je ne souhaite à personne de vivre ce que j’ai vécu. Réaliser, du jour au lendemain, qu’un matériel peut vous faire craquer, en niant les fondements même de la photographie. Ce sentiment d’être paumé, perdu, d’avoir tout oublié, confronté à des dysfonctionnements pathétiques. Et au delà de tout, la tristesse, le blues, le plus d’envie. J’ai plongé dans une déprime maladive me contraignant à ralentir mon rythme de travail.
Ce n’est pas tant le fonctionnement erratique de mon matériel que je ne pardonne pas à Canon que l’état de mélancolie que cela a engendré. Et puis au Salon de la Photo en 2009, j’ai assisté en petit comité à une présentation du Nikon D3s sur le stand de Nikon France. Le choc. Non, mieux, l’électrochoc. J’ai vu les photos de Vincent (Munier), cet ours shooté de nuit, un cliché d’une netteté incroyable. La gifle, en pleine gueule, vous savez, de ces claques qui vous scotchent, comme à chaque fois qu’on voit un excellent cliché. Là, l’émotion allait bien au delà. Il ne s’agissait pas pour moi d’admirer le cliché d’un photographe animalier de grand talent, mais bien de me demander comment Munier avait pu réussir pareil prodige, techniquement parlant. De là à transposer cette capacité dans ma spécialité il n’y avait qu’un pas, que je n’ai pas hésité à franchir allègrement.
Le fantasme d’aller chercher de l’image au bout de la nuit, là où il n’y avait quasiment pas de lumière, de produire une image propre (j’entends par là publiable) à un très haut niveau d’iso, ce fantasme-là, avec le D3s, il avait vécu. Nikon proposait maintenant d’en faire une réalité. Quand j’ai lancé, comme une boutade, l’idée de faire un test, d’amener, avec moi, un D3s sur mon terrain de jeux de la photo de concerts, le staff technique de Nikon France a répondu « Chiche ! » avec un gros soupçon de malice et d’enthousiasme dans les yeux. C’est comme ça que je me suis retrouvé avec un D3s entre les mains, en décembre 2009, chez moi au Cabaret Vauban de Brest, à faire des clichés de mes potes d’Eiffel.
Déjà à l’époque, il s’était passé un truc, comme un déclic, une aisance, un sentiment étrange de déjà vu, comme si finalement j’avais toujours utilisé du Nikon. Je n’avais pas été convaincu, à l’époque, sans doute parce qu’une voix intérieure me murmurait que quitter Canon allait me coûter très cher et pas seulement du point de vue pécuniaire. Moins d’un an plus tard, après avoir vécu un été de festivals avec le brillant EOS 1D Mark IV et le non moins classieux 70-200 2,8L IS serie II et son petit frère EOS 7D, j’ai eu l’occasion de tester coup sur coup un D700 avec l’excellent 24-120mm f/4 puis, à partir de fin novembre le D3s. C’est là, pendant tout le mois de décembre, que j’ai appréhendé les qualités de ce boîtier unique. Chaque jour qui passait, chaque session m’enthousiasmait un peu plus. Et puis un jour, pendant un déjeuner, ma femme me fit remarquer que je ne parlais plus du tout de technique, mais que je parlais à nouveau d’images. Cette remarque pleine de sagesse et de pertinence féminine acheva de me convaincre. Mes plaies et mes blessures, c’était désormais de l’histoire ancienne. J’étais guéri. J’allais pouvoir retrouver le plaisir et reprendre mon chemin. Enfin.
Tout ce dont j’avais rêvé, sans jamais oser le demander
J’aime les images nettes, d’ailleurs pour moi, une bonne photo est d’abord une photo nette. La tendance floue, je la respecte, mais c’est pas ma tasse de thé. Un flou qui évoque le mouvement, pourquoi pas ? Mais ce que j’aime par dessus tout, c’est de figer un moment, un mouvement, une attitude, l’immobiliser. Un batteur, une mimique, une rage, une expression. Un riff ou juste un accord, un instant musical suffisent à mon bonheur.
En général, je bosse sur des petites salles même s’il m’arrive aussi de shooter en festival ou sur des scènes disposant de gros plans de feux. Mais ma préférence marquée va aux petits espaces, là où les lumières se font plus rares mais où le contact est plus chaud. Je ne suis jamais aussi heureux qu’au milieu du public, même si parfois il m’est arrivé d’en ressortir un peu trempé (et je ne parle pas que de transpiration). Ah ! Les salles qui sentent la bière et l’animal (pour paraphraser Miossec), quel bonheur !
Donc si je résume, en gros : peu de lumière, des sujets qui bougent, des ambiances moites et un photographe qui aime les images nettes, voilà pour le cahier des charges.
D’abord, le Nikon D3s embarque un autofocus 51 points dont l’efficacité n’est plus à prouver, les modèles D3 et D3x en étaient déjà équipés. L’autofocus était pour moi l’un des défauts majeurs de Canon, son talon d’Achille révélé avec les incidents majeurs sur l’EOS 1D Mark III, alors inutile de vous dire que l’un des points que j’ai testé avec un maximum d’acuité sur le matériel Nikon a bien été celui-là. Et, dès mes premiers tests en décembre 2009, j’étais convaincu. Au chapitre de l’autofocus, entre Canon et Nikon, il n’y avait pas photo, si j’ose dire. L’efficacité de l’AF du D3s est au rendez-vous, une efficacité quasiment sans faille, quasiment car il peut arriver que dans certains cas de figure extrêmes, même le D3s n’arrive pas à faire le point. Cela dit, il faut reconnaître à Nikon que l’aspect remarquable de l’autofocus est une qualité familiale. J’ai eu en mains le D7000 (j’en possède un en boîtier backup), le D700 et même le petit D3100 et à chaque fois les fonctionnalités de l’AF sont excellentes.
Et puis il y a le grand truc. La capacité du D3s à cracher une image propre à 12800 iso, voire au-delà selon les conditions de lumière. Je me souviens d’une réaction assez dédaigneuse d’un photographe affirmant à qui voulait l’entendre que « 12800 iso ça ne sert à rien ! » Bon, en même temps, à chaque avancée technologique il y a toujours eu un crétin pour affirmer que « ça ne marchera jamais ». Certes. Dans la réalité, je le confirme. Douze mille huit cent iso, c’est comme l’ABS sur ma voiture, ça ne sert à rien, sauf le jour où tu en as besoin. Et ce jour-là, ça te sauve la vie, en te permettant de taper des clichés propres là où les autres sont à la ramasse. Alors ? Sommes-nous tous égaux devant la photographie ? Non.
Ceci étant posé, le D3s n’échappe pas à la règle. Un cliché à 3200 iso est toujours meilleur qu’à 6400 ou plus. Je veux bien que 800 iso soit préférable à 1600, mais quand il n’y a pas de lumière, tu as beau clamer à qui veut l’entendre que tu préfères shooter à 800 iso, s’il n’y a pas de lumière il n’y a pas de photographie. Récemment un ami photographe me demandait si j’utilise souvent les hautes sensibilités de mon D3s, clairement la réponse est non. Comme tout le monde, j’adapte ma sensibilité au contexte et si je peux privilégier 800 ou 1600 iso, je n’ai pas l’ombre d’une hésitation. Mais il m’est arrivé récemment de pousser la sensibilité à 12800 iso pendant un concert alors que les lumières déclinaient singulièrement et comme le son y allait de concert, j’en ai profité pour utiliser le mode Q (comme quiet) pour tester l’efficacité du mode silencieux (aussi surnommé « mode Leica ») du D3s. Sur ce point précis, le D3s tient aussi toutes ses promesses, en permettant de photographier de manière très discrète, une fonctionnalité qui ne manquera pas d’interpeller les photographes de jazz ou de spectacles de danses, par exemple.
Découvrez la deuxième partie de l’article, « Le Nikon D3s, sa part d’ombre » …
Retrouvez Hervé le Gall sur le site Cinquième Nuit – ses photos de concerts – et sur le blog Shots.fr, son espace d’expression personnel.
Illustrations Copyright Hervé le Gall – Tous droits réservés
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mon pauvre tu fais pitié..
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