Vous pourriez vous demander pourquoi un test Noct-NIKKOR Z 58 mm f/0,95 alors que cet objectif, exclusif, est hors de portée du photographe amateur, et de la plupart des professionnels.
Et aussi – surtout ? – comment faire un test qui signifie quelque chose avec une fiche technique de cet acabit.
Vous auriez raison. C’est pourquoi ce test n’en est pas vraiment un, du moins pas comme ceux qui sont publiés d’habitude sur Nikon Passion.
Je vous propose plutôt de partir à la découverte des (très) grandes ouvertures, de voir ce qu’il est possible de faire avec un objectif qui ouvre à f/0.95 et, parce que cela ne saurait nuire, de découvrir un pan de l’histoire de la photographie et des systèmes optiques.
Allez au bout, c’est long mais … fascinant (et les photos sont belles) !
Cet objectif chez un revendeur pro, La Boutique Photo Nikon
F/0.95 : Nikon n’a jamais été un spécialiste des grandes ouvertures non-conventionnelles plus larges encore que f/1,4. Pourtant, avec ses hybrides, la maison spécialiste désormais centenaire compte bien prouver à la fois son savoir faire et le potentiel de sa monture Z.
Ainsi, dès le lancement du système à l’été 2018, celui-ci a été doublé de l’annonce d’un objectif de tous les records : le Noct-Nikkor Z 58 mm f/0,95.
Exclusif dans tous ses aspects, il est trop singulier pour me contenter de lui consacrer un test classique. À la place, je vous propose, à travers une longue prise en main, de vous raconter une certaine histoire des objectifs lumineux, ce qu’ils permettent et le défi optique et industriel que cela représente.
De Niépce à f/1 : un siècle de progrès
Un peu d’histoire
Pourquoi les opticiens s'embêtent-ils à faire des objectifs (ultra) lumineux ? La course aux grandes ouvertures existe depuis les origines de la photographie mais, en fonction des époques, son importance et sa symbolique ont évolué.
Lorsqu’en 1826 Joseph Nicéphore Niépce capture son fameux « point de vue du Gras », réputé être la première image photographique stable de l’histoire, le procédé à base de plaque d’étain recouverte de bitume de Judée et de sténopé impose un temps de pose de plusieurs jours.
Malgré le passage à des plaques d’argent recouvertes de vapeur d’iode, Niépce parvient, au mieux, à réduire le temps de pose à quelques heures, ce qui n’est toujours pas suffisant pour photographier autre chose que des sujets statiques. Pour rendre possible la pratique du portrait, il faut encore parvenir à descendre à quelques secondes.
Deux pistes d’amélioration s’imposent alors : perfectionner la chimie de la surface photosensible et augmenter la quantité de lumière qui lui parvient tout en conservant une image suffisamment détaillée.
En ce début de XIX ème siècle, cela fait déjà un moment que les Hommes savent concevoir des systèmes optiques complexes. En 1595, Zacharias Jansen, fabriquant de lunettes hollandais de son état, invente le microscope en superposant deux lentilles de verre.
Quasiment simultanément, les lunettes astronomiques pour scruter le ciel sont développées. Celles de Galilée entreront dans l’histoire. Pourtant, il faudra attendre 1839, plus d’une décennie après le tout premier cliché de Niépce, pour que son nouveau collaborateur Louis Jacques Mandé Daguerre équipe une chambre noire d’un objectif réellement consacré à la photographie.
Cette optique achromatique à « Portrait et Paysage » est fabriquée par leur compatriote Charles Chevalier mais n’ouvre qu’à f/15 (f/13,4 dans les versions ultérieures). C’est suffisant pour du portrait, mais les temps de pose, de plusieurs secondes, demeurent encore trop longs malgré les progrès réalisés du côté de la chimie.
Test Noct-NIKKOR Z 58 mm f/0,95 S : la lentille frontale (le Z 7 est caché derrière)
La révolution viendra dès l’année suivante par le physicien hongrois Joseph Petzval avec son objectif à portrait ouvrant à f/3,7. Quatre diaphragmes de gagnés par rapport à l’objectif de Chevalier ! De quoi diviser par 16 les temps de pose !
Dit autrement, ce qui prenait une minute ne demande plus que 4 secondes. Pour la petite histoire, il s’agit de ces objectifs dont le constructeur Lomography commercialise des réplique modernisées, aujourd’hui vendues en montures F et Z : leur Daguerreotype Achromat 2,9/64 Art Lens s’inspire de l’optique de Chevalier et les New Petzval 58 Bokeh Control et New Petzval 55 mm f/1,7 MkII Brass reprennent le design optique de Petzval. Ou comment faire du neuf avec de l’ancien (ou de l’argent avec du laiton, au choix).
Inventé à la même époque, l’obturateur à guillotine des français Hippolyte Fizeau et Léon Foucault est désormais capable d’atteindre des temps d’exposition de seulement 1/150 ème de seconde de manière précise et reproductible. Par rapport au tout premier cliché capturé par Nièpce vingt-trois ans plus tôt, cela correspond à une vitesse d’obturation cinquante millions de fois plus rapide, pour dire les progrès réalisés !
Un siècle et demi plus tard, nos obturateurs électroniques contemporains qui ne montent au mieux « que » à 1/40.000 ème de seconde ne sont « que » 270 fois plus rapides que les meilleurs modèles mécaniques à guillotine… Et encore, il faut pour cela sortir du catalogue Nikon puisque les hybrides Z ne disposent « que » d’un obturateur mécanique grimpant à 1/8.000 ème de seconde, le plafond pour les obturateurs focaux à rideaux.
Il faudra attendre les années 1920 pour que les objectifs ouvrant à f/2 deviennent monnaie courante, grâce notamment aux verres de type crown inventés par les ingénieurs Ernst Abbe et Otto Schott, tous deux officiant chez Carl Zeiss.
À la même époque, les pellicules souples existent déjà depuis un moment mais leur sensibilité atteint, péniblement, 20 ISO. Notez qu’il s’agit d’un anachronisme : la notification ISO n’est introduite qu’en 1974 avec la norme ISO 6:1993 afin d’harmoniser tous les systèmes précédents. Avant, il fallait se dépatouiller entre les degrés DIN, l’ASA, les échelles de Scheiner ou de Hurter & Driffield pour ne citer qu’eux…
Test Noct-NIKKOR Z 58 mm f/0,95 S : l’écran OLED et la touche de fonction personnalisable
Durant tout le XX ème siècle, et jusqu’à l’avènement des premiers appareils photographiques numériques vraiment capables de travailler de manière satisfaisante à 12.800 ISO, les photographes ont dû composer avec des pellicules dont la sensibilité native atteignait, au mieux, 3.200 ISO (à moins de pousser le développement et faire exploser le grain).
Pendant toute cette fin de millénaire, la quête des grandes ouvertures demeure donc centrale afin d’atteindre des vitesses d’exposition suffisamment rapides et aptes à limiter le flou de bouger. En 1932, Ludwig Bertele, également ingénieur chez Zeiss, pousse sa formule Sonnar à f/1,5, rapidement suivi par Leitz et son Xenon, également un 50 mm f/1,5. À partir de là, chaque quart de diaphragme supplémentaire grappillé devient un véritable défi.
Après la Seconde Guerre Mondiale, le centre de gravité de l’optique photographique a basculé de l’Allemagne vers le Japon. En 1953, le petit constructeur Zunow atteint un record avec son 50 mm f/1,1 destiné aux boîtiers télémétriques en monture M39. Il est égalé en 1956 par un certain Nikon… qui dépasse ce record en 2019, avec son Noct-Nikkor Z 58 mm f/0,95 S !
Test Noct-NIKKOR Z 58 mm f/0.95 S – 1/160 sec. – f/0.95 – ISO 640
Et la concurrence ?
Pendant ce temps là, les concurrents ne se sont pas tournés les pouces. Dès 1961, Canon produit un 50 mm f/0,95 pour le Canon 7, un boîtier télémétrique.
Zeiss, de son côté, détient deux records : celui de l’objectif photographique fonctionnel le plus lumineux de l’histoire (le Planar 50 mm f/0,7 développé pour la NASA mais surtout connu pour avoir été utilisé par Stanley Kubrick sur le tournage de Barry Lyndon), et celui de l’objectif non fonctionnel le plus lumineux, le Carl Zeiss Super-Q-Gigantar 40 mm f/0.33 présenté lors de la photokina 1966.
Pendant plus d’un siècle, un objectif à grande ouverture est synonyme de haute vitesse d’obturation. Ce rôle prédominant dans la réduction du flou de bouger est resté chez les anglophones qui parlent alors de « fast lens » pour désigner un objectif très lumineux (f/1,4 ou moins).
L’arrivée des calculs assistés par ordinateur dans les années 1960 permet aux opticiens de changer de direction. Plutôt que de continuer à repousser l’ouverture maximale, ils préfèrent désormais améliorer et maîtriser ce qui existe déjà. En effet, en dessous de f/1,4, les aberrations surgissent de manière exponentielle : vignettage, aberrations de sphéricité, coma, flare, dégradation de l’homogénéité, réduction du pouvoir résolvant… tout est exacerbé ! Ce n’est pas pour rien si les objectifs vraiment performants ouvrant au-delà de f/1,4 sont aussi rares, même de nos jours.
Parallèlement, de manière presque tautologique, les opticiens se sont rendus compte que des objectifs « rapides » capables de figer les mouvements en plein jour étaient également pratiques une fois la nuit tombée. Seulement d’autres soucis apparaissent.
Les formules classiques ne suffisent plus, et ce qui apparaît à l’œil nu comme des sources de lumières artificielles ponctuelles sont retranscrites sur la pellicule par des bavures disgracieuses, avec une forte chute du contraste. Cela est tout aussi vrai pour la photographie astronomique.
Leica, qui s’appelait alors encore Leitz, se penche rapidement sur le sujet et, en 1968, sort le Noctilux-M 50 mm f/1,2. S’il ne bat aucun record de luminosité, il fait entrer les objectifs photographiques dans l’ère moderne des lentilles asphériques, qu’il est le premier à utiliser.
Test Noct-NIKKOR Z 58 mm f/0.95 S – 1/500 sec. – f/0.95 – ISO 800
Nikon et les grandes ouvertures
Nikon, qui proposait déjà pour ses reflex en monture F un très lumineux Nikkor-S(C) Auto 55 mm f/1,2 depuis 1965, décide également de s’aventurer dans ces objectifs lumineux spécialement corrigés pour la photographie nocturne.
Ainsi apparaît le Noct-Nikkor 58 mm f/1,2 en 1977, qui évoluera parallèlement aux 50 mm f/1,2 « classiques » mais ne connaîtra jamais de transposition autofocus à destination des reflex numériques. C’est de cette lignée d’objectifs noctambules des années 1970 que le Noct-Nikkor Z 58 mm f/0,95 S est issu.
Mais pourquoi les objectifs Nikon reflex n’ouvrent-ils pas plus que f/1,2 ?
Cette limitation est imposée par les dimensions physiques de la monture F, avec son diamètre de « seulement » 44 mm et son tirage mécanique de 46,5 mm. Le seul moyen pour Nikon de proposer un objectif plus lumineux sera soit de travailler sur une surface photosensible plus petite que le 24 x 36 mm (ce que propose le NIKKOR 32 mm f/1,2 destiné aux hybrides Nikon 1 à capteurs Type 1 ») soit de développer une nouvelle monture 24 x 36 mm au diamètre plus généreux et au tirage mécanique plus court afin de favoriser le cône lumineux.
C’est exactement ce que propose la monture Z, avec ses 55 mm de diamètre et 16 mm de tirage mécanique, conçue de telle sorte qu’en théorie il serait possible de développer des objectifs ouvrant jusqu’à f/0,65, soit plus de deux diaphragmes plus lumineux qu’un « banal » f/1,4 !
À l’ère de la photographie numérique, les systèmes de stabilisation optiques et mécaniques perfectionnés, associés à la possibilité de dépasser les 12.800 ISO de manière déconcertante, rendent quasiment inutiles les objectifs très lumineux dans le seul cadre de la réduction du flou de bouger.
Pour preuve, les zooms f/4 constants sont légion, expliquant les NIKKOR Z 14-30 mm f/4 S et NIKKOR Z 24-70 mm f/4 S. De même, les focales fixes destinées à la monture Z plafonnent volontairement à f/1,8 et non pas f/1,4, et beaucoup de photographes préfèrent désormais un bon f/2 compact qu’un encombrant f/1,4.
A gauche : Noct-NIKKOR Z 58 mm f/0,95 S
A droite : AF-S NIKKOR 58 mm f/1.4G
Alors, qu’est-ce qui motive les opticiens ?
La première motivation est le prestige, les objectifs lumineux étant associés aux photographes professionnels. Or, c’est bien connu, acheter un objectif professionnel fera forcément de vous un meilleur photographe…
La seconde motivation est liée à la gestion de la profondeur de champ et l’obsession omniprésente pour le bokeh, laquelle confine parfois au ridicule. Il s’agit d’une certaine forme de marqueur social lié à la taille des capteurs.
Rappelez-vous. Les premiers appareils photographiques numériques se divisaient en deux catégories : d’un côté les compacts munis de capteurs minuscules, avec lesquels il est quasiment impossible de jouer avec la profondeur de champ ; de l’autre les reflex à « grands » capteurs, avec un véritable flou d’arrière plan.
Rapidement, faible profondeur de champ est devenue synonyme de grand capteur, donc de reflex, donc de boîtier professionnel. Cette association d’idées a été savamment entretenue avec les premiers reflex 24 x 36 mm, « forcément » supérieurs aux reflex APS-C, eux-même « forcément » supérieurs aux hybrides Micro 4/3. Au point qu’aujourd’hui, beaucoup continuent à rêver de 24 x 36 mm, en reflex et hybride, sans en avoir forcément l’utilité ni réaliser qu’il ne s’agit pas de la panacée. C’est même plutôt un handicap en termes d’encombrement, de discrétion et pour les photographes animaliers ou de sport.
Test Noct-NIKKOR Z 58 mm f/0.95 S – 1/640 sec. – f/0.95 – ISO 500
Ce prestige des faibles profondeurs de champ, ou plutôt, du flou d’arrière plan, les fabricants de smartphones l’ont bien compris, d’autant que, bien plus que les fabricants d’appareils photo, ils sont contraints par les dimensions physiques de leurs appareils mobiles devant tenir dans une poche.
De leur côté, la guerre du bokeh se gagne à coups d’intelligence artificielle (et de flou gaussien réel) afin de simuler ce que l’optique naturelle ne peut leur donner.
Quel est l’intérêt du NOCT-NIKKOR Z 58 MM f/0,95 ?
Après ce (long) rappel historique, vous seriez tenté d’aboutir à la conclusion suivante : aucun, sinon le prestige et le marketing. Et vous auriez presque raison.
Du point de vue du prestige, Nikon se devait de rattraper le retard par rapport à Canon, qui a franchi la barre de f/1 depuis plus d’un demi-siècle et qui, à ce jour, reste le seul fabriquant d’optique à avoir osé proposer un 50 mm f/1 autofocus, l’EF 50 mm f/1,0 L USM qui, déjà, franchissait la barre du kilogramme : un monstre pour un « simple » 50 mm.
Pratiquement inutilisable du fait de la lenteur de son autofocus et de l’imprécision des systèmes d’alors, il garde malgré tout ses adeptes et demeure très recherché par les collectionneurs et amateurs d’exotisme.
Autre rival de toujours de Nikon : l’allemand Leica. Celui-ci proposait jusqu’à présent l’un des rares objectifs ouvrant à f/0,95 pensé pour un capteur 24 x 36 mm et doté de lentilles asphériques, le Noctilux-M 50 mm f/0,95 ASPH.
Vendu 10.815 euros, il ferait presque passer le Noct-Nikkor Z 58 mm f/0,95 S, affiché à « seulement » 8.999 euros, pour une bonne affaire !
Notez au passage que chez Leica, aussi bien au siège français que dans les bureaux d’étude en Allemagne, ce Noct-Nikkor intrigue et j’y ai été bombardé de questions :
- Comment ont-ils fait ?
- Pourquoi est-il aussi gros ?
- Est-ce une commande spéciale d’un client ?
- Combien comptent-ils en vendre ?
- Est-il meilleur que notre Noctilux ?
- Tiens, il n’est pas autofocus ?
- 8999 euros, ce n’est pas si cher !
- Elle est pas mal cette bague de mise au point !
- Ça fait plaisir de voir un Nikkor aussi bien construit !
- C’est une bonne idée cet écran OLED !
- Alors, ça donne quoi en pleine nuit ?
- Tu n’as pas trop mal aux bras ?
- Ça donne quoi en vidéo ?
- Et côté stabilisation ?
- Il est quand même super gros, non ?
- Tu as remarqué des différences avec le Noctilux ?.
Je peux vous garantir qu’il est très rare qu’un objectif concurrent attise autant la curiosité de Leica.
Test Noct-NIKKOR Z 58 mm f/0.95 S – 1/30 sec. – f/0.95 – ISO 640
Du point de vue du marketing, Nikon a réussi un joli exploit : faire parler pendant plus d’un an d’un objectif qui n’existait pas et que, même aujourd’hui, très peu ont eu en main (à moins d’avoir été sur le stand du constructeur lors du dernier Salon de la Photo).
Mieux encore : tout cela pour un objectif que très peu de passionnés et de clients potentiels pourront acquérir, et dont encore moins ont un usage réel.
Même un monstrueux 800 mm, pourtant bien plus onéreux, encombrant, prestigieux, et tout aussi exclusif, fait moins parler de lui que ce « simple » 58 mm !
Quel sens du suspens, d’autant plus que, pendant l’année écoulée, Nikon n’a pas attendu son vaisseau amiral pour faire vivre sa monture Z et en démontrer les vertus, avec un catalogue déjà généreux de focales fixes et zooms, tous allant de très bons à excellents. Et nous n’allons pas nous en plaindre.
Test Noct-NIKKOR Z 58 mm f/0.95 S – 1/25 sec. – f/0.95 – ISO 2.500
Mais d’un point de vue pratique, pour le commun des mortels et des photographes ?
Avant de passer à la prise en main pure et dure, je vous invite à réfléchir à ceci : à quoi servent, en automobile, les « concept cars » ?
Ceux-ci remplissent plusieurs missions :
- faire rêver,
- rassurer quant à la créativité du constructeur,
- débroussailler plusieurs pistes d’innovation,
- expérimenter de futures technologies,
- pousser dans leurs retranchements des technologies déjà existantes.
D’une certaine manière, c’est ce que fait ce Noct-Nikkor Z 58 mm f/0,95 S. La plupart des technologies qu’il utilise sont connues. Sa formule optique à 17 lentilles (4 en verre ED, 3 asphériques), sur le papier, paraît presque commune aujourd’hui si on se contente d’un simple décompte.
Le traitement ARNEO+ de sa lentille frontale est le même que sur les autres objectifs de la gamme. Son écran OLED est le même que sur le NIKKOR Z 24-70 mm f/2,8 S (mon chouchou). Et, bien sûr, la monture Z est, aussi bien électroniquement que mécaniquement, strictement la même que celle des autres objectifs Nikkor Z de la série S.
Pour dire si celle-ci est résistante et d’ores et déjà prête à accueillir des télézooms de plusieurs kilogrammes !
Surtout, tout le travail de correction des défauts optiques (aberrations chromatiques, distorsions, coma, vignettage extrême) réalisé dans les conditions extrêmes d’un objectif ouvrant à f/0,95 sont autant d’enseignements qui pourront être transposés sur des optiques plus accessibles.
C’est ce que l’on appelle le ruissellement, le vrai. Mais trêve de théorie, passons enfin à la pratique !
Test Noct-NIKKOR Z 58 mm f/0.95 S – 1/50 sec. – f/0.95 – ISO 2.500
Photographier avec le NOCT-NIKKOR Z 58 MM F/0,95 S, ça donne quoi ?
En vrai, c’est plutôt chouette.
Dès l’arrivée du coursier diligenté par Nikon, j’ai tout de suite compris que ce test ne serait pas comme les autres. Le colis est lourd, très lourd, et surtout très imposant. Et pour cause !
L’objectif n’est pas fourni dans une simple boîte en carton rembourrée de mousse haute densité, mais carrément dans sa petite mallette en polycarbonate portant le doux nom de « valise Nikon CT-101 ». Voilà qui donne le ton.
la valise Nikon CT-101
À l’intérieur, beaucoup d’espace perdu, mais ce n’est que pour mieux mettre en valeur le centre de toutes les attentions : l’objectif.
Le paresoleil vissant est bien sûr fourni, ainsi qu’une petite housse textile, une notice d’utilisation, un petit chiffon et, comble du raffinement, la formule optique est directement imprimée sur la doublure mousse. Une délicate attention qui rappelle l'emballage de certains objectifs Zeiss. Il y a pire comme point de comparaison.
Une fois monté sur un Nikon Z 7, l’attelage a quelque chose de presque ridicule : est-ce le boîtier qui porte l’objectif ou l’objectif qui porte le boîtier ? D’ailleurs, le Noct-NIKKOR dispose de son propre collier de trépied intégré : avec ses 2 kilos sur la balance, ce n’est pas de trop.
Test Noct-NIKKOR Z 58 mm f/0,95 S : l’objectif qui sert de porte-boîtier
Mais pas le temps de divaguer, vite, vite, la rue m’appelle. Et comme j’habite aux pieds de la Butte Montmartre, à quelques pas du Sacré Cœur et du Moulin Rouge, voilà des terrains de jeu idéaux pour une balade nocturne !
Dès les premiers pas, une question purement pratique se pose : comment tenir l’engin ? D’habitude, j’enroule la lanière autour de mon poignet (en en glissant l’extrémité entre l’index et le majeur pour parer à toute glissade accidentelle) et me contente de tenir la poignée du boîtier du bout du doigt. Doigts que je n’ai, de toute évidence, pas assez musclés pour ce Noct-Nikkor. Je devrais peut-être m’entraîner avec des boules de bowling ou pratiquer plus souvent les téléobjectifs…
Finalement, j’opte pour une solution disgracieuse mais efficace : tenir l’ensemble directement par l’objectif, ce qui a l’avantage de soulever la monture (et mes doigts, donc). Heureusement que ma main est assez grande pour en faire le tour, du moins en sa partie la plus étroite. Premier problème résolu.
Test Noct-NIKKOR Z 58 mm f/0.95 S – 1/400 sec. – f/0.95 – ISO 1.600
Forcément, je m’applique à photographier uniquement en-dessous de f/1,4, majoritairement à f/0,95 et « fermant » au maximum à f/1,1. Aller au-delà, avec un tel bijou, n’aurait pas un grand intérêt.
Parallèlement, alors que la nuit est déjà tombée depuis un moment, je décide de ne pas monter, au moins dans un premier temps, au-delà de 200 ISO, afin de vérifier ce que la conjonction du f/0,95 et de la stabilisation 5 axes du boîtier permet.
Surprise : même jusqu’à 1/13 ème de seconde, c’est franchement efficace !
Test Noct-NIKKOR Z 58 mm f/0.95 S – 1/13 sec. – f/0.95 – ISO 100
Du moins pour peu que le sujet soit suffisamment éloigné afin que la profondeur de champ ne vienne pas compliquer l’exercice. Arrivé sur le parvis du Sacré Cœur, je profite de la vue panoramique sur les lumières nocturnes de Paris et quelques touristes de dos pour avoir un premier aperçu du bokeh.
Test Noct-NIKKOR Z 58 mm f/0.95 S – 1/20 sec. – f/0.95 – ISO 1.250
Il me faut monter à 1.250 ISO (ce qui reste très raisonnable de nuit), mais la stabilisation mécanique continue à faire des miracles, en autorisant des poses à 1/20 s et 1/13 s !
La vue est superbe, le bokeh savoureux, et une mise au point à l’infini permet de confirmer que le Noct-NIKKOR n’a rien usurpé de sa lignée « Noct » : les sources lumineuses ponctuelles sont parfaitement ponctuelles, sans aucune bavure, sans aucune déformation même en périphérie.
Test Noct-NIKKOR Z 58 mm f/0.95 S – 1/200 sec. – f/0.95 – ISO 800
Malgré la finesse de 3,6 millions de points de son viseur électronique, un problème se pose rapidement : la profondeur de champ engendrée par le Noct-NIKKOR Z est tellement faible que le focus peaking n’est pas assez discriminant.
Aucun réglage ne convient réellement : en Low, le surlignage est presque invisible. En High, les traits sont trop épais et pas assez précis. Il faut donc se rabattre sur la position Medium, et croiser les doigts. Dans la plupart des cas, cela suffit, mais sur certains sujets vraiment complexes, par exemple du feuillage au premier plan, avec du feuillage en arrière plan, cela commence à devenir très compliqué. À éviter, donc.
De même, toujours à cause de la profondeur de champ, combinée à la mise au point strictement manuelle, il faut ré-apprendre à anticiper sa mise au point et croiser les doigts, en photo de rue, pour que son sujet passe pile poil là où on le souhaite. Délicat mais tellement jouissif lorsqu’on y parvient !
Test Noct-NIKKOR Z 58 mm f/0.95 S – 1/160 sec. – f/0.95 – ISO 500
Test Noct-NIKKOR Z 58 mm f/0.95 S – 1/200 sec. – f/0.95 – ISO 640
D’une manière générale, en photographie de rue (domaine où les 58 mm ont toute leur place), le Noct-NIKKOR Z est surtout handicapant par son encombrement (2 kilos, hors boîtier) et sa course de mise au point démesurée. Puisqu’il faut un tour complet pour passer de la mise au point minimale (50 cm) à l’infini, il faut régulièrement mouliner vigoureusement pour tenter d’attraper son sujet au vol… mais la plupart du temps il se sera échappé le temps que vous parveniez à trouver la bonne mise au point. Pour cet exercice, l’excès de précision est plus un inconvénient qu’un avantage.
Autre exercice dans lequel ce 58 mm f/0,95 trouve tout son sens : le portrait. Là encore, la mise au point est délicate, mais réussir son image est extrêmement gratifiant. La difficulté, ici, est double : faire en sorte que son sujet ne bouge pas du tout entre la mise au point et le déclenchement (ce qui rappelle, d’une certaine manière, les premières heures du portrait à la moitié du XIX ème siècle), et faire en sorte de ne soi-même pas trop trembler en tenant l’objectif à bout de bras, même en le calant fortement contre l’arcade sourcilière et en faisant confiance à la stabilisation mécanique.
Test Noct-NIKKOR Z 58 mm f/0.95 S – 1/320 sec. – f/1.1 – ISO 800
Ce Noct-NIKKOR, à la pleine ouverture, est-il plus facile à utiliser que le Leica Noctilux-M 50 mm f/0,95 ASPH ? D’une certaine manière, oui : l’assistance électronique du focus peaking sur le Nikon est bien plus précise, efficace et rapide que la visée télémétrique d’un Leica M, laquelle est déjà limite à f/1,4.
Ceci dit, rien ne vous empêche d’utiliser un Noctilux sur un hybride à viseur électronique, que ce soit sur le tout récent Leica SL2, sur un Sony Alpha 7/9 ou même… sur un Nikon Z6/7 ! Et là, le Leica profite d’un avantage indéniable : sa plus grande compacité et sa relative légèreté (bien qu’il s’agisse d’un des objectifs Leica M les plus lourds de sa gamme), qui minimise le flou de bouger de la part du photographe.
Donc, pour répondre à la question initiale : le plus simple serait d’utiliser un Noctilux sur un Nikon Z si vous voulez absolument faire des portraits à f/0,95. Mais : cela vous coûtera 2000 euros plus cher et, surtout, il faut bien l’admettre, vous y perdrez en qualité d’image.
Test Noct-NIKKOR Z 58 mm f/0.95 S – 1/640 sec. – f/1.1 – ISO 800
Test Noct-NIKKOR Z 58 mm f/0.95 S – 1/200 sec. – f/0.95 – ISO 1.000
En effet, entre la balade et les portraits (je n’ai guère eu le temps d’en faire plus, n’ayant gardé l’objectif que 72 heures), j’ai largement eu la possibilité de constater qu’effectivement le Noct-NIKKOR Z 58 mm f/0,95 était largement au-dessus du lot : aberrations chromatiques inexistantes, déformation nulle même à la pleine ouverture, vignettage quasiment nul, coma nulle.
Parce que n’étant pas sorti de Paris, je n’ai pas pu vérifier l’efficacité de l’objectif en astrophotographie (les étoiles, dans le ciel parisien, c’est une légende urbaine), mais de ce que j’ai pu en observer sur les sources ponctuelles artificielles, le Noct-NIKKOR fait preuve d’une très belle homogénéité à l’infini, ce qui devrait être bénéfique pour les adeptes de la voûte céleste. Voilà qui devrait épargner quelques heures d’assemblage en post-traitement !
Les photos de ce test en pleine définition sur le compte Flickr Nikon Passion :
» src= »data:image/gif;base64,R0lGODlhAQABAIAAAAAAAP///yH5BAEAAAAALAAAAAABAAEAAAIBRAA7″ alt= »
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Article historique superbe !!!
Ce qu’on peut appeler un véritable « document « .
Du coup, j’ai une nouvelle tendresse pour mon Nikkor Z 50 mm 1.2.
Merci, merci, merci !!!
Merci Bruno pour ce très intéressant article sur cet objectif atypique même si comme toi je ne saurai pas trop quoi en faire, je pense que cela doit être très sympa de pouvoir l’utiliser au moins une fois.
Excellent article. Tout ce qu’il y a d’essentiel sur le sujet s’y trouve (… l’inévitable Stanley Kubrick !). Si je devais faire un parallèle, cela me fait penser à ces beaux articles de journalistes automobiles passionnés à qui l’on permet de faire un tour en formule 1 (ou formule Le Mans).
(au passage, « … de l’argent avec du laiton », j’adore :D)
Bonne année 2020, à vous et à vos proches, en souhaitant que vous continuiez à nous faire profiter de votre « bon sens éclairé ».
bravo pour l’article. Historique apprécié, technique bien vulgarisée – impressions personnelles très… objectives 🙂 – heureux de lire (c’est rare) une critique du bokeh (’obsession omniprésente pour le bokeh, laquelle confine parfois au ridicule.) Dès l’annonce de sa sortie, je me suis demandé aussi à quoi pouvait servir un tel objectif – à rien, en terme de photographie… Les réponses données sont convaincantes.
Bravo et merci pour cet article passionnant, équilibré, marqué par le bon sens.
Je le dis rarement, c’est un article (certes long) accessible, intéressant et bien illustré.
On aurait presque envie d’acquérir ce bijou technologique.
Merci
Je le dis rarement, c’est un article (certes long) accessible, intéressant et bien illustré.
On aurait presque envie d’acquérir ce bijou technologique.
Merci
Un grand merci pour un article passionnant en histoire et en technique mais avec aussi des photos très intéressantes.
NIKON passion, je ne peux pas m’en passer.
Et je suis crédible, ayant eu tous les NIKON F et maintenant unZ6 dont je suis très content
Intéressant et bien fait. Donne envie de jouer avec, et/ou de l’avoir sur ses rayonnages avec sa collection d’appareil photo.
Excellent papier.
Je me permet d’ajouter qu’au delà des Leica Summilux et autres Noctilux, Voigtlander (Cosina) produit des 50 f1.1, 50 f1.2 et 40 f1.2 en monture M de qualité exceptionnelle
Merci pour cet exellent papier . Grace à vous ,je vais ressortir mon 55 f 1,2 !
Merci, un article passionnant et très instructif.
Par contre, il y comme un contraste entre les photos réalisées avec l’objectif et les photos réalisées de l’objectif à 8 000€… qui est pour le moins un peu poussiéreux !