Photographier l’heure bleue est un grand classique de la photo de nuit. C’est aussi une excellente occasion d’apprendre à mieux connaitre votre appareil photo : comment optimiser les réglages afin de tirer le meilleur parti d’un contexte particulier ?
Ce tutoriel « photographier l’heure bleue » a été rédigé par Jacques Croizer. Collaborateur régulier de Nikon Passion, il est également l’auteur de deux guides pratiques sur la photographie :
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Photographier l’heure bleue : une brève histoire du temps
Photographier l’heure bleue – f/7,1 à 1/8 s – 800 ISO
Nikon Passion a déjà consacré un tutoriel très complet à la photo de nuit. L’heure bleue n’est qu’un moment un peu particulier de cette discipline. Le phénomène se produit deux fois par jour : il précède le lever du soleil et succède à son coucher. Le ciel est alors d’un bleu sombre très intense qui contraste agréablement avec les lumières chaudes de la ville.
L’heure bleue apparaît même quand il n’y a pas de soleil. C’est au printemps et à l’automne qu’elle est la plus belle. La période optimale pour la photographier dure à peine trente minutes. Pour en connaitre les horaires en fonction de votre localisation et de la date du jour, consultez le site Blue Hour Site. Il est en anglais, mais suffisamment explicite pour que cela ne pose pas de problème.
Les bases
Compact, reflex, bridge ou hybride, tous les appareils photos conviennent pour photographier l’heure bleue.
Evitez le mode tout automatique : il peut se laisser surprendre par le cocktail détonnant des luminosités. Il délivrera un résultat trop sombre ou trop clair, selon l’importance de la part d’ombre que vous aurez cadrée : plus la scène intègrera d’obscurité et plus la photo sera surexposée (trop claire).
Un mode scène typé « nuit » est a priori mieux adapté à la situation. Si vous n’utilisez pas de trépied, pensez quand même à vérifier que la vitesse de déclenchement est compatible avec une prise de vue à main levée !
Pour la photo ci-dessous, l’appareil en mode « aurore/crépuscule » préconisait une vitesse de 1/4 s pour une ouverture de f/2.8. Même avec la stabilisation de l’objectif, le risque de flou de bougé était trop important. Il aurait fallu augmenter la sensibilité ISO. La photo a finalement été prise sur pied, en conservant le même réglage. Le résultat est plutôt convaincant, même si les bâtiments sont un peu ternes :
Photographier l’heure bleue – Mode scène “aurore/crépuscule”
Allons-nous en rester là ? Reconnaissons que le mode scène “aurore/crépuscule” s’est honorablement sorti d’une situation a priori un peu délicate. Il a en particulier refroidi les teintes en choisissant une température de couleur de 4 550 K. Comment être sûr cependant que la photo faite par l’appareil sera toujours celle dont nous rêvions ?
La prochaine fois, peut-être souhaiterez-vous que chaque source ponctuelle de lumière se transforme en étoile, ou que le capteur enregistre la trace des objets lumineux en mouvement ?
Le premier effet s’obtient en fermant le diaphragme (plus grand nombre, par ex. f/16), le second en utilisant une vitesse de déclenchement lente (temps de pose long). Comment arriver à ce résultat… si ce n’est en prenant le contrôle de notre boitier ?
Soyons créatifs !
Place à la créativité… J’en vois déjà qui se précipitent pour sélectionner le mode manuel de leur appareil. Si vous n’êtes pas un utilisateur assidu de la jauge et des molettes de réglage, je vous déconseille ce choix : à l’heure bleue, la lumière varie rapidement. Vous passerez les trente minutes dont vous disposez à courir après la bonne exposition… jusqu’à ce que la nuit soit totalement noire !Pour photographier l’heure bleue n’est-il pas préférable de vous concentrer sur le cadrage en laissant les modes semi-automatiques de l’appareil assurer en temps réel la bonne exposition de la photo ? Ils sont tout aussi riches en possibilités que le mode manuel puisqu’ils vous permettent de choisir soit le diaphragme (mode A priorité à l’ouverture) soit la vitesse de déclenchement (mode S priorité à la vitesse).
Ces modes offrent un avantage supplémentaire : ils s’adaptent en permanence aux variations de la lumière en faisant varier automatiquement le paramètre laissé à leur libre appréciation : la vitesse si vous êtes en priorité à l’ouverture, l’ouverture si vous avez choisi la priorité à la vitesse.
Après la première prise de vue, vérifiez quand même l’histogramme qui s’affiche à l’arrière de l’appareil. Il est normal d’avoir des basses lumières puisque c’est la nuit : l’histogramme doit donc au minimum être collé à gauche, voire même dépasser à gauche si les zones d’ombres sont importantes et denses.
Par contre, si l’histogramme dépasse le bord droit du cadre, les hautes lumières seront brûlées, ce qui se traduira sur la photo par des taches blanches souvent inintéressantes, car dépourvues de détails. Attention, elles ne sont pas forcément illégitimes. C’est à vous d’en juger ! Si c’est le cas, vous devrez sous exposer la prise de vue.
Pour compenser un éventuel décalage de l’histogramme, utilisez la touche de correction d’exposition. En mode priorité à l’ouverture, l’automatisme augmentera le temps de pose au fur et à mesure que la lumière déclinera. La correction continuera de s’appliquer pour protéger les hautes lumières.
Utilisez le mode de mesure matricielle pour que l’automatisme puisse s’appuyer sur une base stable. Soyez sur place un bon quart d’heure avant l’heure bleue pour bien anticiper votre réglage.
Histogramme de la photo prise avec le mode scène, légèrement surexposée
Dans la majorité des cas, la règle d’or est de ne pas dépasser à droite, avec pour corollaire incontournable d’être collé à gauche. L’histogramme ci-dessus montre que le mode scène a légèrement surexposé la photo en écrêtant les hautes lumières (l’histogramme déborde à droite).
Les ombres sont loin d’être enterrées (le pic à gauche est légèrement décalé). Il aurait fallu appliquer une correction d’exposition d’un demi diaphragme… mais ce n’est pas possible avec les modes scènes. Raison de plus pour passer aux modes semi-automatiques !
Histogramme de la photo prise avec le mode priorité à l’ouverture – 1 IL
Si la dynamique de la scène n’est pas très importante, exposer à droite peut produire une photo un peu trop claire. Si vous photographiez au format RAW, ce n’est pas gênant. Vous aurez tout loisir de retrouver le bon équilibre avec votre logiciel de développement RAW. Ce format a l’avantage d’accepter des écarts entre ombre et lumière beaucoup plus importants que le format JPG. Si vous utilisez le JPG, l’histogramme doit être collé à gauche dès la prise de vue pour respecter le rendu des ombres.
Mode priorité à l’ouverture
Vous voulez photographier l’heure bleue ? Quel rendu recherchez-vous dans le paysage urbain ci-dessous ? Sans doute voulez-nous que les bateaux au premier plan soient nets, mais que les immeubles sur l’autre rive le soient également.
Vous souhaitez en fait avoir la plus grande profondeur de champ (PDC) possible, ce qui valide le choix du mode priorité à l’ouverture : plus vous fermerez le diaphragme et plus elle sera importante. Mais ce n’est pas suffisant. Si vous laissez partir la mise au point (MAP) à l’infini, le premier plan net (PPN) se retrouvera derrière les péniches. Si vous la faites sur les embarcations, le dernier plan net (DPN) manquera peut-être de précision.
Photographier l’heure bleue – Mode scène “priorité à l’ouverture”
Un calculateur de profondeur de champ montre que la zone floue du fond disparaît rapidement dès qu’on recule la mise au point et qu’on ferme un peu le diaphragme : la photo est alors nette jusqu’à l’infini. Le piège se situe principalement sur le premier plan, lorsque la mise au point est faite trop loin. Le problème est amplifié quand on utilise une focale un peu longue (> 70 mm).
De quai à quai, la scène mesure environ 200 mètres. Il est aisé de démontrer que si l’on ferme le diaphragme à f/8 en faisant la mise au point sur la ligne de tiers inférieure, on a l’assurance que la photo sera entièrement nette. Inutile d’être plus précis dans son appréciation des distances. Cette règle est une préconisation classique de la photo de paysage, bien évidemment valable également en pleine lumière.
Photographier l’heure bleue – calcul de la zone de netteté
Un diaphragme un peu fermé a en outre l’avantage de faire travailler l’objectif dans la zone où il a le meilleur rendu. Mais attention, le temps de pose sera d’autant plus long que le diaphragme sera fermé.
Sans trépied, il faudra accepter des compromis, monter la sensibilité ISO et, si la lumière est encore insuffisante, ouvrir plus le diaphragme, donc sacrifier un peu de profondeur de champ. La mise au point devra alors être plus précise.
La mise au point n’est pas facile à faire en basse lumière. Utilisez de préférence le collimateur central en visant une zone contrastée de l’image, par exemple ici les reflets du pont. L’autofocus sera alors parfaitement opérationnel.
Une fois la mise au point faite, débrayez l’autofocus et recomposez votre photo comme bon vous semble. Vous serez certain d’être toujours net jusqu’à l’infini… premier plan compris !
Le trépied
On ne va pas se mentir : il est toujours préférable d’avoir un trépied pour faire de la photo de nuit. Cet accessoire n’a cependant pas que des avantages : il est encombrant et sa manipulation incite souvent à des angles de prise de vue très conventionnels, pour ne pas dire un peu paresseux…
Les appareils modernes supportent de mieux en mieux les sensibilités élevées. Beaucoup d’objectifs sont de surcroît stabilisés, ce qui permet d’utiliser des vitesses de déclenchement compatibles avec une prise de vue à main levée, tout en limitant le risque de flou de bougé. Essayez, vous serez agréablement surpris de votre liberté retrouvée !
Pour les photos avec trépied, pensez à désactiver la stabilisation. Confrontée à la stricte immobilité de l’appareil, elle peut en effet paradoxalement engendrer un léger flou.
Sur les poses longues, utilisez une télécommande pour ne pas avoir à toucher le déclencheur. Pour les poses très longues, enclenchez le mode réduction du bruit numérique de votre boitier s’il en est équipé. La couleur bleue est en effet la couche qui a le plus tendance à générer du bruit. Autant mettre toutes les chances de votre côté !
Ne soyez pas étonné, la pose durera deux fois plus longtemps que celle indiquée : l’appareil prend une première photo normale, puis une seconde sur laquelle n’est enregistré que le bruit qui est ensuite soustrait à la prise initiale. Ce mode est beaucoup moins destructeur de détails qu’une correction du bruit obtenue en post-traitement par un léger flou.
Encore des réglages
Sur les nocturnes urbains et quand il s’agit de photographier l’heure bleue, le photographe opte le plus souvent pour des couleurs bien saturées. Faut-il attendre d’être devant son ordinateur pour obtenir ce rendu ? Non bien sûr ! Autant gagner du temps à la post production : il suffit d’utiliser le Picture Control qui permettra d’atteindre automatiquement le résultat souhaité.
Le mode paysage est généralement bien adapté, quitte à légèrement le booster. Si vous n’avez pas l’habitude de jongler avec le menu Picture Control, cette vidéo est faite pour vous.
Vue du Picture Control dans Nikon Capture NX-D
Allons plus loin, jouons avec les couleurs. La balance des blancs automatique peut être perturbée par l’hétérogénéité des sources de lumière. C’est l’occasion de prendre la main. Si votre appareil le permet, imposez une température de couleur entre 3500 K et 4000 K afin de magnifier le bleu du ciel. Ne descendez pas trop bas : l’or de la ville deviendrait verdâtre.
Beaucoup de photo prises à l’heure bleue ont des ciels un peu caricaturaux. Sachez garder la mesure, même si le format RAW permet de corriger a posteriori la balance des blancs sans dégrader la qualité de l’image.
Bracketing
La nuit, les lumières sont vives et les ombres denses. Autant dire que la dynamique de la scène risque de dépasser celle absorbée par votre capteur. Si l’exposition à droite de l’histogramme vous assure la conservation des hautes lumières, il est possible que les basses lumières soient localement trop denses. Une solution à cela : le bracketing.Ce réglage spécifique de votre appareil (consultez le manuel !) permet de prendre en rafale la même scène avec différentes expositions. Dans la version la plus paresseuse, vous conserverez la photo qui vous semble la plus réussie.
Si vous maîtrisez le post traitement et les masques de fusion, vous obtiendrez un résultat encore plus intéressant en mixant plusieurs expositions du même paysage. Il faut dans ce cas que la photo soit prise avec un trépied pour que les différentes versions se superposent parfaitement.
A vous de décider !
Observez les réglages adoptés par le mode scène, puis par le photographe. Ils sont certes différents, mais pourtant relativement proches si l’on considère que la lumière parvenant au capteur est quasiment identique (moins d’1 IL de différence) :
Mode scène | Priorité à l’ouverture | |
Sensibilité | 200 ISO | 200 ISO |
Diaphragme | f/2.8 | f/8 |
Vitesse | ¼ s | 3 s |
Correction d’exposition | .. | -1 IL |
Indice de lumination * | 6 IL | 5.4 IL |
Température de couleur | 4 550 K | 4 000 K |
Mise au point | Sur le pont (AF-A) | Sur les reflets du pont (AF-S) |
Les photos ont été prises à trois jours d’intervalle. Elles ne sont donc pas exactement comparables. A vous de dire lequel des deux rendus vous préférez. Le photographe a-t-il eu raison de prendre la main ?
Conclusion
A vous ! Vous voulez photographier l’heure bleue et avoir un avis sur vos photos ? Postez les dans le groupe Nikon Passion avec le tag #TutoHeureBleue !
Avez-vous des conseils à ajouter ? Quels problèmes avez-vous rencontrés ?
Retrouvez les conseils de Jacques Croizer dans le guide :
Tous photographes : sur le terrain ! Apprenez à tout photographier …
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Belle démonstration.
J’ai souvent photographié ce genre d’ambiance ; je n’ai jamais autant rationalisé tous les trucs et astuces, même si je les tous utilisés séparément « comme je les sentais ».
Je suis un peu comme M. Jourdain qui « faisait sans savoir », mais dans le sens péjoratif ; maintenant que je vois l’ensemble des règles à respecter, je comprends à côté de quoi je suis passé !!
Merci pour ces bonnes recettes et ce pragmatisme sans prise de tête.
Meilleures salutations.
B. DUPIN
Les nouveaux hybrides permettent des poses de 1s à mains levées de nuit !!! Avec stabilisation du capteur et objectif, c’est possible d’improviser un shoot de nuit sans trépied. Pensez à emmener votre boitier quand vous sortez , on ne sait jamais !
Bonjour, l’heure bleue, c’est le meilleur moment pour photographier, avec un appareil mis sur pied. Nous pouvons aussi faire une surimpression, première prise de vue à l’heure bleue, puis une autre plus tard quand la nuit est tombée, donc avec plus de lumière électrique. J’ai une photo de la Défense sur le Nikon Club, dans ma galerie. Amicalement. JC.
Un autre site qui permet aussi de décider de l’heure, et quelques fonctionnalités en plus, comme l’azimut de lever/coucher du soleil et de la lune: http://photoephemeris.com/ (en anglais, simple d’emploi)
Merci pour toutes ces informations précises. Je vais tester rapidement les heures bleues. Et aussi consulter l’article sur les photos de nuit. J’en fais de temps en temps, mais elles ne sont jamais comme je les voudrais. J’apprends tous les jours quelques astuces grâce à vous.